« La gentrification nous apparaît comme un processus de (re)valorisation économique et symbolique d’un espace, qui s’effectue en partie sous le sceau d’un certain modèle d’urbanité inspiré par la ville ancienne européenne et à travers la concurrence entre différents acteurs et groupes sociaux inégalement dotés pour son appropriation et sa transformation. » (Chabrol et al., 2016, p. 68).
Le terme lui-même vient de l’anglais gentry, terme péjoratif pour qualifier « les gens bien nés ». Il a été inventé en 1960 par la sociologue allemande exilée à Londres, Ruth Glass, à propos de quartiers populaires anciens de la capitale anglaise en pleine transformation. « À l’origine, la gentrification désigne un processus conjuguant réhabilitation de quartiers populaires d’habitat ancien et transformation de leur profil social, par l’installation de ménages des classes moyennes et supérieures et l’éviction graduelle des classes populaires initialement en place. » (Clerval, Colomb, Van Criekingen, 2011, p. 151). Identifiés d’abord dans les villes britanniques et nord-américaines, il concerne des quartiers emblématiques comme Barnsbury à Londres, Greenwich Village, SoHo ou le Lower East Side à New York, Castro, Mission et Noe Valley à San Francisco, le Plateau Mont-Royal à Montréal, ou encore le centre d’une ancienne ville industrielle et ouvrière comme Manchester. Il se retrouve dans de nombreux centres-villes européens, du Raval barcelonais à Prenzlauerberg à Berlin, en passant en France par l’Est parisien ou la Croix-Rousse à Lyon.
Les anciens quartiers ouvriers des centres-villes sont transformés par la réhabilitation de l’habitat ancien, la montée en gamme des commerces ou l’embellissement de l’espace public et cela contribue à la hausse des prix immobiliers qui évince progressivement les classes populaires. Cela contribue à les éloigner en périphérie et la hausse des prix du centre entretient ainsi l’étalement urbain.
Depuis la fin des années 1990, la gentrification s’est considérablement diffusée, touchant désormais des quartiers périphériques et d’autres contextes urbains comme les grandes villes des pays émergents. À côté de la gentrification progressive, par le jeu du marché immobilier, on trouve aussi des opérations planifiées de démolition-reconstruction, notamment de friches industrielles, qui sont qualifiées de new build gentrification. Au-delà des logiques de production capitaliste de la ville, cela pose la question du rôle des politiques publiques dans ces processus d’appropriation des espaces populaires au profit de groupes sociaux dominants. On s’intéresse aussi de plus en plus à la gentrification rurale, même si celle-ci était étudiée déjà depuis les années 1960.
La diffusion du processus et sa médiatisation (qui participe à la transformation symbolique d’un espace) ont entraîné une inflation du terme dans le débat public. Cela trend à brouiller sa définition, mais aussi à occulter la riche littérature scientifique sur le concept. Sa dimension critique initiale est parfois perdue de vue. La diffusion du processus à travers le monde pose le défi de tenir compte à la fois des logiques générales d’appropriation ou de dépossession à l’œuvre dans les espaces populaires, et de la spécificité des contextes locaux qui se traduisent par des formes très variées de gentrification. Un débat existe, parmi les spécialistes de ce processus, entre les tenants d’une définition générique de la gentrification, dont la portée analytique permet d’éclairer des contextes très différents, et ceux d’une définition contextuelle, selon laquelle il faudrait réserver le terme aux processus d’embourgeoisement progressif des quartiers populaires anciens centraux ou péricentraux des pays du Nord.
Anne Clerval, mai 2022.
Références citées
- Adam Matthieu et Comby Émeline, « Villes et capitalisme », intervention lors du café géo organisé par la Géothèque à Lyon, novembre 2021.
- Chabrol Marie, Collet Anaïs, Giroud Matthieu, Launay Lydie, Rousseau Max, Ter Minassian Hovig (dir.), Gentrifications, éd. Amsterdam, 2016, 360 p. Voir la veille à ce sujet.
- Clerval Anne, Colomb Claire et Van Criekingen Mathieu, « La gentrification des métropoles européennes » in Denise Pumain et Marie-Flore Mattei (coord.), Données urbaines 6, Paris, Economica, 2011, p. 151-165.
- Clerval Anne et Van Criekingen Mathieu, « "Gentrification ou ghetto", décryptage d’une impasse intellectuelle », Métropolitiques, 20 octobre 2014
Pour compléter avec Géoconfluences
- Lætitia Balaresque, Jean-Loup Baudoin, Roman Derlich et Salomé Scholl, « Le quartier asiatique de la Guillotière à Lyon : gentrification ou recomposition commerciale ? », Géoconfluences, avril 2022.
- Jean Rieucau, « Le faubourg Méditerranée, enclave urbaine alternative à Montpellier, fleurissement et art urbain », Géoconfluences, février 2022.
- Greta Tommasi, « La gentrification rurale, un regard critique sur les évolutions des campagnes françaises », Géoconfluences, avril 2018.
- Aurélie Delage, « Le Bronx, des flammes aux fleurs : combattre les inégalités socio-spatiales et environnementales au cœur de la ville globale ? », Géoconfluences, 2016
- Renaud Le Goix, « Du manteau d’Arlequin au Rubik’s cube : analyser les multiples dimensions de trente années d’évolutions socio-économiques des quartiers en Californie du Sud », Géoconfluences, 2016
- Veille sur les débats soulevés par l'ouverture de la brasserie Barbès à Paris, juin 2015
et sur la gentrification rurale, mars 2015
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